Inconstitutionnalité des dispositions de la loi sur la presse restreignant l’action directe des collectivités publiques en diffamation et injure
(Commentaire de la décision du conseil constitutionnel du 25 octobre 2013 n° 2013 – 350 QPC)
L’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse dispose :
« Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommé, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés.
Toute expression outrageante, terme de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure »
L’article 30 de cette même loi dispose par ailleurs :
« La diffamation commise par l’un des moyens énoncés en l’article 23 envers les cours, les tribunaux, les armées de terre, de mer ou de l’air, les corps constitués et les administrations publiques, sera punie d’une amende de 45 000 euros ».
L’article 47 de la loi sur la liberté de la presse dispose :
« La poursuite des délits et contraventions de police commis par la voie de la presse ou par tout autre moyen de publication aura lieu d’office et à la requête du ministère public sous les modifications ci-après ».
Il résultait de la combinaison de ces dispositions que la poursuite des délits et contraventions de police commis à l’égard des corps constitués et administrations publiques par voie de presse ou tout autre moyen de publication ne peuvait être exercée que par le ministère public . Les collectivités publiques, telles les collectivités territoriales, ne pouvait donc se constituer partie civile et obtenir réparation de leur préjudice en cas d’injure ou diffamation commise à la rencontre qu’à titre incident, la recevabilité de leur action étant subordonné à celle du parquet préalablement.
Ces dispositions ont été déclarées contraires à la constitution par le Conseil constitutionnel dans une décision du 25 octobre 2013 (décision n° 2013 – 350 QPC), à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité posée par la commune du Pré- Saint-Gervais à l’occasion d’un conflit qui l’opposait au journal Le Point pour un article de presse mettant en cause. La Cour de Cassation avait transmis cette question au conseil constitutionnel par un arrêt du 21 août 2013 (pourvoi n° 13-920).
Le conseil a censuré ces dispositions de la loi sur la presse considérant que la restriction ainsi apportée à la liberté d’action en justice des collectivités publiques limite leur droit d’exercer un recours devant une juridiction ce qui méconnaît les exigences de l’art. 16 de la déclaration de 1789 :
« 7. Considérant qu’il résulte de la combinaison des dispositions précitées que, lorsqu’elles sont victimes d’une diffamation, les autorités publiques dotées de la personnalité morale autre que l’État ne peuvent obtenir la réparation de leur préjudice que lorsque l’action publique a été engagée par le ministère public, en se constituant partie civile à titre incident devant la juridiction pénale ; qu’elles ne peuvent nier engager l’action publique devant les juridictions pénales aux fins de se constituer partie civile ni agir devant les juridictions civiles pour demander la réparation de leur préjudice ; que la restriction ainsi apportée à leur droit d’exercer un recours devant les juridictions méconnaît les exigences de l’art. 16 de la déclaration de 1789 et doit être déclaré contraire à la constitution ».
Cette déclaration d’inconstitutionnalité prend effet immédiatement de telle sorte que désormais les collectivités publiques peuvent mettre directement en mouvement l'action publique et obtenir réparation de leurs préjudices lorsqu'elles sont victimes d'injures ou de diffamation, et obtenir réparation sans que leur action soit subordonnée par l’action préalable du ministère public.
Jusqu’à présent, on considérait que les intérêts des administrations publiques, corps constitués et collectivités territoriales relevaient de l’intérêt général dont le ministère public avait la charge (Cass. crim. 1er mai 1925). C’est la raison pour laquelle la loi l’avait désigné comme acteur de la procédure permettant de protéger leurs intérêts.
Mais depuis les années 2000, une révolution juridique était en marche permettant aux collectivités publiques dont les collectivités territoriales tout particulièrement d’être désormais maîtresse de leur destin et de se voir reconnaître le droit de protéger leur intérêts, distincts de ceux de la société (Cass. Crim., 7 avr.1999).
Ainsi, elles sont parvenues au terme d’une longue bataille judiciaire à faire reconnaître qu’elle pouvait subir des préjudices moraux portant atteinte à leurs intérêts qui ne se confondaient pas avec ceux de l’intérêt général. Elles obtenaient ainsi réparation de ses préjudices, en sus des préjudices patrimoniaux et matériels. Il en fut ainsi de l’atteinte à la réputation des communes, le discrédit jeté sur la fonction publique…
La décision du Conseil constitutionnel du 25 octobre 2013 s’inscrit dans cette lignée jurisprudentielle. Fondée sur le droit d’exercer un recours devant les juridictions affirmées par l'art. 16 de la déclaration de 1789, elle autonomise enfin les collectivités territoriales de la tutelle de l’État dans le cadre des actions diffamation et injure organisée par la loi sur la presse de 1881.
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