Droit électoral
Propagande : le Conseil constitutionnel rappelle les principes d’appréciation des griefs en matière d’investitures et de soutiens
(Cons. const. 21 mars 2024 SEN, Français établis hors de France, M. Thierry MASSON)
1.
La question de l’authenticité des investitures et soutiens dont les candidats peuvent se prévaloir dans leur propagande donne lieu à un important contentieux devant le Juge électoral.
2.
Nous avions dernièrement signalé une décision rendue par le Conseil d’Etat en la matière (CE 24 juin 2022, n° 453475 et 453507), dans une affaire où il était reproché à deux listes candidates aux élections des Français de l’étranger d’avoir fait état abusivement des soutiens, pour l’une de la personne et de la Fondation de Nicolas Hulot, pour l’autre du Président de la République et du Premier ministre.
Les opérations électorales avaient été annulées aux motifs suivants :
Dans le premier cas : « (…) le fait pour la liste conduite par Mme Beaudet, d’avoir porté ces mentions et photographies sur sa propagande électorale et ses bulletins de vote a été de nature à faire accroire aux électeurs que cette liste s’inscrivait directement et activement dans l’action menée par cette personnalité qui, au moment des opérations électorales contestées, bénéficiait d’une large notoriété, alors qu’en réalité cette personnalité ne lui apportait aucun soutien et que la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l’homme s’est expressément opposée à toute utilisation électorale de ces éléments. A cet égard, la circonstance que la liste dirigée par Mme Beaudet ne se soit pas présentée comme ayant reçu le soutien de cette fondation et se soit limitée à faire valoir auprès des électeurs le soutien que, dans l’autre sens, elle entendait elle-même apporter à celle-ci et à son fondateur n’est pas, dans les circonstances de l’espèce, de nature à avoir dissipé l’ambigüité entretenue sur les soutiens dont bénéficiait cette liste. »
Dans le second cas : « (…) nonobstant la précaution purement formelle de la présentation d’un soutien apporté au Président de la République en exercice, qui devait se distinguer du soutien apporté par celui-ci, le fait pour la liste conduite par M. Gonin d’avoir porté ces mentions et photographies sur sa propagande électorale et ses bulletins de vote a été de nature à induire les électeurs en erreur sur le soutien dont elle pouvait bénéficier de la part du Président de la République en exercice. »
3.
3.1
Dernièrement le Conseil constitutionnel a été saisi de griefs similaires à l’appui de la contestation du résultat des élections sénatoriales pour la circonscription des Français établis hors de France.
Le protestataire soutenait en effet qu’une candidate concurrente avait tenté de tromper les électeurs quant au soutien que lui auraient apporté le Président de la République et le parti Renaissance, alors que seule la liste qu’il conduisait était soutenue par ce dernier.
Il faisait valoir à cet égard :
Sur le premier point que la publication par son adversaire d’une photographie la représentant serrant la main du Président de la République, accompagnée du message « Aux urnes ! », aurait laissé à penser que ce dernier soutenait sa candidature.
Sur le second point qu’auraient été constitutifs de manœuvres de la part de sa concurrente :
- La dénomination initiale de sa liste (modifiée par la suite) « Démocrates et Progressistes, Ensemble ! », alors que le terme «ensemble » avait été utilisé par Monsieur MACRON sur ses affiches électorales entre les deux tours de l’élection présidentielle de 2017 ;
- La mise en avant de son appartenance ainsi que celle de certains de ses colistiers aux partis Renaissance et Territoires de progrès, alors que ces deux partis ne la soutenaient pas ;
- La diffusion d’un communiqué de soutien d’élus de la majorité présidentielle en Amérique du Nord appelant à voter pour sa liste, qui aurait laissé à penser que tous les élus de la majorité présidentielle de cette région la soutenaient, alors qu’il ne s’agissait que de la moitié d’entre eux ;
- La publication sur les réseaux sociaux de sa liste d’un message du ministre délégué chargé des Français de l’Etranger, relatif au budget des bourses scolaires pour le réseau d’enseignement français à l’étranger, qui aurait laissé à pense que ce ministre, et à travers lui le Gouvernement aurait soutenu sa liste.
3.2
Ces griefs n’ont toutefois pas prospéré et le recours a été rejeté au motif suivant :
« (…) la question de l’investiture et des soutiens politiques des listes conduites par M. MASSON (requérant) et Mme SUBERVILLE (candidate à laquelle des manœuvres étaient reprochées), la première étant soutenue par le parti Renaissance et la seconde par le Mouvement démocrate, formations appartenant toutes deux à la majorité présidentielle, a fait l’objet d’un vaste débat public durant toute la campagne, relayé notamment par la presse destinée aux Français résidant hors de France. Dès lors, dans les circonstances de l’espèce, et compte tenu de la connaissance que les membres du collège électoral, en nombre réduit et eux-mêmes élus, avaient de la situation des listes conduites par M. MASSON et Mme SUBERVILLE, les faits dénoncés ne sont pas susceptibles d’avoir créé dans l’esprit des électeurs une confusion telle que les résultats du scrutin en aient été affectés. »
4.
Cette décision s’inscrit dans le fil d’une jurisprudence constante sur l’appréciation des griefs relatifs aux soutiens et investitures.
4.1
En effet, le Juge de l’élection sanctionne en la matière, en les qualifiant de manœuvres, les abus de propagande consistant en la revendication mensongère ou erronée de soutiens ou investitures par des candidats (CE 22 mai 2012, élection cantonales de Nice, n° 353310, mentionné aux tables du Recueil ; CE 21 mai 1986, élections cantonales de La Ciotat, n° 70318, mentionné aux tables du Recueil ; CE 3 décembre 2014, élections municipales du Pin, n° 383240 ; CE 29 décembre 1989, élections municipales de Saint-Georges-de-Didonne, n° 108690, mentionné aux tables du Recueil ; CE 1er juin 2016, élections régionales PACA, n° 395363).
4.2
La caractérisation de telles manœuvres n’est cependant pas toujours aisée et peut s’avérer délicate, par exemple quand les dissensions au sein d’un parti ou d’un mouvement politique aboutissent à des soutiens multiples ou des changements de soutien.
Devant de telles situations, le Juge de l’élection fait preuve de pragmatisme, recherchant si la mention inexacte ou imparfaitement exacte d’un soutien ou d’une investiture a été de nature à tromper les électeurs et influer sur leur vote.
Il a ainsi été jugé que n’était pas de nature à fausser la sincérité du scrutin l’apposition sur un tract distribué pour le second tour d’une élection, à l’issue immédiate du premier, du logo d’un parti ayant investi le candidat pour le premier tour, « en l’absence de désaveu de cette investiture à la date à laquelle le tract a été diffusé » (CE 26 novembre 2008, élections municipales de Nuits-Saint-Georges, n° 317996).
Une décision similaire a été rendue dans le cas d’un candidat soutenu par la section locale d’un parti dont la fédération départementale appelait à soutenir un autre candidat, dans la mesure où le « tract litigieux faisait apparaître clairement que le soutien dont se prévalait (le candidat) émanait de la seule section locale », le document n’ayant donc « pas eu un caractère mensonger » (CE 27 mars 2009, élections cantonales de Châlons-en-Champagne, n° 321928).
Dans le même sens, le Conseil d’Etat a considéré, dans le cas d’un candidat ayant maintenu sa liste au second tour avec le logo du parti l’ayant investi au premier mais dont les instances départementale et nationale soutenaient un autre candidat au second, que le maintien de l’utilisation du logo « ne peut être regardé comme constitutif d’une manœuvre destinée à égarer les électeurs », alors que les instances précitées n’avaient pas demandé au candidat de ne plus se prévaloir du soutien du parti et d’en utiliser le logo ni ne lui avaient retiré officiellement leur soutien (CE 20 juillet 2016, élections municipales de Noisy-le-Grand, n° 398297).
Enfin, il a été jugé que « ne s’est livrée à aucune manœuvre » la liste ayant fait figurer sur sa profession de foi le soutien d’une personnalité ayant ultérieurement retiré ce soutien (CE 14 décembre 1977, élections municipales de Revonnas, n° 08846, publié au Recueil).
Dans les espèces précitées, le Juge a considéré que la mention des soutiens ou investitures n’était pas mensongère ni de nature à tromper les électeurs, en concluant à l’absence de manœuvre.
4.3
Même en l’absence de mensonge délibéré sur la réalité de soutiens ou d’investitures, la propagande électorale peut être sanctionnée si elle présente un risque de confusion à cet égard, susceptible d’égarer les électeurs.
Le Juge de l’élection recherche donc si, par son contenu ou sa forme, la communication électorale crée un tel risque de confusion.
L’existence d’un tel risque a été écartée dans les cas suivants :
- Diffusion d’un tract de soutien à un candidat exprimant le désaccord des adhérents et sympathisants d’un parti dont les instances départementales avaient accordé l’investiture à un autre candidat, dans la mesure où ce document « ne pouvait susciter aucune confusion dans l’esprit des électeurs … quant au soutien officiel apporté par les instances de ce parti (au candidat investi par elles) » (CE 17 décembre 2008, élections municipales de Saint-Jory, n° 318192) ;
- Utilisation « dans les circonstances de l’espèce », par une liste aux élections municipales d’un logo également utilisé par une association locale, présidée par le candidat tête de liste (CE 31 juillet 1996, élections municipales d’Arleux, n° 173784) ou apposition de logos d’entreprises de presse dans un tract, « la circonstance que (le candidat) aurait fait un usage frauduleux de noms ou de marques commerciales (étant), par elle-même, sans influence sur la sincérité du scrutin. » (CE 27 mai 2015, élections municipales de Houilles, n° 385833).
A en revanche été jugé de nature à entraîner une confusion le fait pour une liste d’avoir porté sur ses affiches et bulletins de vote la mention « UMP-UDI-MoDem » en caractère de grande taille, à la suite de la mention écrite en petits caractères « Soutenue par le groupe municipal d’opposition », ces mentions ayant « été de nature à faire croire aux électeurs que cette liste bénéficiait de l’investiture de l’UMP et du MoDem, alors que le soutien de ces partis avait été accordé (à une autre liste), cette présentation … alors même qu’elle ne comportait aucune indication erronée ou mensongère, (ayant) constitué une manœuvre susceptible … d’induire en erreur les électeurs … » (CE 11 mai 2015, élections municipales de Clichy, n° 386018, mentionné aux tables du Recueil)
De même, l’utilisation de logos d’organismes officiels ou de collectivités locales dans les documents de propagande est généralement jugée irrégulière (logos d’une commune – CE 10 décembre 2014, élections municipales de Reyrieux, n° 382626 ; d’un conseil général – CE 2 juillet 1999, élections cantonales du Portel, n° 201622 ; du Conseil supérieur des Français de l’étranger – CE 16 février 2004, n° 258511).
Le Conseil d’Etat a également jugé que l’utilisation, sans leur accord, des logos d’associations locales dans un document de propagande de la liste du maire sortant, était de nature à faire accroire que la liste bénéficiait du soutien de ces associations et était donc constitutive d’une manœuvre, justifiant l’annulation des élections en raison du faible écart de voix (CE 12 avril 2021, n° 445515, mentionné aux tables du Recueil ; BJCL n°5/2021, p. 376, concl. Stéphane Hoynck, obs. F. Séners ; Lexbase Hebdo édition publique n° 626, 20 mai 2021, comm. Stéphane Penaud).
Dans le même esprit, a été sanctionnée l’utilisation par des candidats, dans leurs documents de propagande électorale, de la photographie du Président de la République et de celle, ainsi que du nom, d’une personnalité populaire et de celui de sa fondation, dans des conditions de nature à faire accroire que les candidats bénéficiaient du soutien de ces personnalités et organisme et donc à induire les électeurs en erreur sur le soutien dont bénéficiaient effectivement les candidats en cause (CE 24 juin 2022, n° 453475 et 453507).
4.4
Il ressort ainsi de la jurisprudence que, dans l’appréciation des griefs relatifs aux investitures et soutiens, le Juge recherche essentiellement si la communication des candidats à cet égard a pu induire les électeurs en erreur ou créer la confusion dans leur esprit.
Sont ainsi considérées comme constitutives de manœuvres, non seulement les mentions fallacieuses ou mensongères à cet égard mais également celles qui, sans l’être, sont néanmoins de nature à entretenir l’ambigüité ou présentent un risque de confusion sur la réalité de ces soutiens ou investitures.
Tel n’était pas le cas dans la décision commentée, dans la mesure où le corps électoral (par ailleurs constitué d’un collège réduit d’électeurs, eux-mêmes élus et donc rompus aux débats politiques) avait été informé (par la presse et la communication des différents candidats) et avait donc connaissance du différend existant entre deux listes, se revendiquant de la majorité présidentielle, sur les investitures et soutiens dont elles se prévalaient.
Cette décision est donc conforme à la ligne jurisprudentielle classique.
Paris, le 16 avril 2024
Stéphane PENAUD
Avocat associé
SCP Krust-Penaud
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