Effets pour l’organisme d’accueil de l’annulation par le juge administratif de la décision de fin anticipée de détachement d’un fonctionnaire territorial prise par l’administration d’origine
Ou :
« Qui casse ne paye pas nécessairement »
Le détachement est légalement défini comme « la position du fonctionnaire placé hors de son cadre d'emploi, emploi ou corps d'origine mais continuant à bénéficier, dans ce corps, de ses droits à l'avancement et à la retraite »
Le fonctionnaire détaché « est soumis aux règles régissant la fonction qu’il occupe par l’effet de son détachement. »
Le détachement est révocable et « il peut (y) être mis fin (…) avant le terme fixé par l'arrêté le prononçant à la demande soit de l'administration ou de l'organisme d'accueil, soit de l'administration d'origine » .
La qualification juridique de sa fin anticipée diffère selon son imputabilité.
Elle est a ainsi, jurisprudence constante, considérée comme un licenciement lorsqu’elle résulte d’une initiative de l’organisme d’accueil.
Un arrêt récent considère ainsi que « lorsque la personne morale de droit privé demande à l’autorité administrative compétente de mettre fin au détachement, cette rupture s’analyse en un licenciement régi, à l’exception des articles L. 1243-6, L. 1243-1 et L. 1234-9, par les dispositions du code du travail, notamment les articles L. 1234-5, L. 1232-2 et suivants de ce code ».
Dans une décision précédente , la Cour de Cassation avait rappelé que la rupture du contrat de travail entre un fonctionnaire détaché et son employeur privé constitue un licenciement si elle est imputable audit employeur :
« (…) lorsque la personne morale de droit privé décide de ne pas solliciter le renouvellement du détachement, cette rupture avant le terme prévu au contrat s’analyse en un licenciement régi par les dispositions du code du travail »
De nombreuses autres décisions rappellent ce principe dans des termes identiques :
« (…) lorsque la personne morale de droit privé demande à l’autorité administrative compétente de mettre fin au détachement avant son terme, cette rupture s’analyse en un licenciement régi (…) par les dispositions du code du travail »
En revanche, il n’y a pas licenciement lorsque la fin anticipée du détachement est imputable à l’administration d’origine.
Ainsi la Cour de Cassation a approuvé une Cour d’appel d’avoir « retenu que la rupture du contrat de travail n’était pas imputable à l’employeur (et d’en avoir) exactement déduit que le salarié ne pouvait solliciter l’allocation de dommages-intérêts sur le fondement des dispositions de l’article L. 1243-4 du code du travail ».
Pareillement, pour rejeter les demandes d’un fonctionnaire détaché contre son organisme d’accueil une Cour d’appel retient que l’intéressé « ne justifie pas avoir fait l’objet d’une rupture anticipée à l’initiative de l’organisme d’accueil, de sorte qu’il ne peut se prévaloir des règles prévues en matière de licenciement. »
Dans le même sens, a été débouté le fonctionnaire de la Caisse des dépôts et consignations dont le détachement auprès de la société DEXIA a été interrompu avant son terme, au motif suivant :
« Considérant qu’en acceptant une position de détachement, Madame Dominique Y a accepté de se soumettre au régime particulier de cette situation ; que dès lors elle ne saurait aujourd’hui venir demander à son employeur le règlement de sommes en alléguant avoir été licenciée à tort alors que d’une part c’est la caisse des dépôts et consignations, à laquelle elle restait soumise pour les questions concernant sa situation eu égard au statut de la fonction publique, qui a souhaité mettre fin à son détachement, et alors que de deuxième part la SA DEXIA CREDIT LOCAL n’a fait que se soumettre à cette décision, et alors que de troisième part il résulte des éléments de la cause que Madame Dominique Y a été aussitôt réintégrée et n’a subi aucun préjudice. »
Cette décision a été confirmée en cassation .
La jurisprudence considère ainsi clairement que la fin anticipée d’un détachement à l’initiative de l’administration d’origine ne constitue pas un licenciement.
Cette position est parfaitement logique, dans la mesure où le licenciement constitue une rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur et que, dès lors, une telle qualification ne peut être retenue lorsque la rupture ne lui est pas imputable.
Si les conséquences de l’imputabilité de la fin anticipée d’un détachement étaient ainsi clairement déterminées, à notre connaissance, aucune décision n’avait été rendue dans le cas d’une telle décision à l’initiative de la collectivité d’origine, ultérieurement annulée par le Juge administratif.
La Cour d’Appel de Paris vient de rendre une décision digne d’intérêt sur ce cas précis.
1. L’affaire
L’espèce ayant donné lieu à l’arrêt commenté concernait le détachement d’une fonctionnaire régionale auprès d’une association.
Il avait été prononcé pour une durée de 5 ans et donné lieu à la conclusion d’un contrat de travail à durée indéterminée entre l’agent et l’organisme d’accueil.
L’administration d’origine avait décidé d’un mettre fin de manière anticipée et l’association avait tiré les conséquences de cette décision en mettant fin au contrat de travail, sans application de la procédure légale de licenciement.
Toutefois, la décision de l’administration avait été ultérieurement annulée par le Juge administratif pour vice de forme et la salariée avait assigné son ancien employeur pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le Conseil des Prud’hommes de Paris avait rejeté son action aux motifs suivants :
« Attendu qu’il est constant que Madame X relève du statut de la fonction publique territoriale, et qu’à ce titre elle est soumise aux dispositions de la loi du 26 janvier 1984, articles 64 et 66, et du décret du 13 janvier 1986, article 10, aux termes desquels il peut être mis fin de manière anticipée au détachement, à la demande du fonctionnaire ou de son administration ou de l’organisme d’accueil.
Qu’à l’expiration du détachement, par arrivée du terme ou de manière anticipée, le fonctionnaire est réintégré dans sa collectivité d’origine, y retrouvant sa rémunération.
Attendu que la fin du détachement de Madame X résulte de la seule initiative de son administration d’origine.
Que le 2ème alinéa de l’article 64 de la loi du 26 janvier 1984 précise bien que le détachement est révocable, les autorités qui ont prononcé le détachement pouvant donc le faire cesser à toute époque.
Que face à la décision du Conseil Régional de mettre fin de manière anticipée au détachement, (l’association Y) n’avait pas à mettre en œuvre une procédure de licenciement, (elle) ne pouvait que prendre acte de cette décision et s’incliner.
Attendu qu’en l’espèce, la fin anticipée du détachement de Madame X, qui a abouti à la fin de ses relations de travail avec (l’association Y), résulte de la seule décision du Conseil Régional de Z ;
Attendu que la fin de la présence de la salariée chez (l’association Y) est exclusivement imputable à la décision de l’Administration et qu’ainsi elle ne peut être qualifiée de licenciement dont (l’association Y) serait l’auteur.
(…)
Attendu enfin que Madame X avait saisi le Tribunal administratif de Paris d’un recours pour excès de pouvoir contre la décision du Conseil Régional de Z de mettre fin de manière anticipée à son détachement (à l’association Y).
Que cette Juridiction a fait droit à sa demande par jugement en date du 26 décembre 2013, lequel a annulé la décision disputée pour vice de forme et lui a alloué une somme de 1 500 € au titre des frais irrépétibles.
Que devant le conseil de céans, elle soutient que cette décision a eu pour effet de priver de motif la rupture de son contrat avec (l’association Y).
Mais attendu qu’il convient de souligner que la fin du détachement n’a pas été remise en cause par la décision du tribunal Administratif.
Qu’en effet, Madame X a été réintégrée dans sa collectivité d’origine avec un positionnement et une rémunération supérieure à celles dont elle bénéficiait à l’époque de son détachement. »
Ainsi, les premiers Juges considéraient que, nonobstant l’annulation de la décision administrative de fin anticipée du détachement, la collectivité d’origine demeurait à l’initiative de la fin du contrat auprès de l’organisme d’accueil et qu’il n’y avait donc pas de licenciement.
Ils évoquaient également l’absence de préjudice subi par la salariée, laquelle avait été réintégrée dans son administration, avec même d’ailleurs de meilleures conditions de rémunération qu’à la date de son détachement.
La Cour d’Appel de Paris a réformé ce jugement et fait droit aux demandes de la salariée contre l’association d’accueil aux motifs suivants :
« Le contrat (avec l’organisme d’accueil) a pris fin (…) lorsque la salariée a été nommée (…) chargée de missions à la région …
Son employeur en a tiré les conséquences e mettant fin au contrat par une lettre simple (…) sans autre formalité, en visant la fin de son détachement.
La décision d’annulation de la fin anticipée du détachement (…) a pour effet d’effacer de façon rétroactive cette décision ;
Il en résulte que le motif de la rupture du contrat de travail n’existe plus et que celle-ci, à l’initiative de l’association bénéficiaire du détachement, doit produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse (…), dès lors qu’elle est intervenue sans respect des règles de forme propres au licenciement et sans motif, puisque celui-ci, valable au moment de la rupture, a disparu par la suite.
Si l’employeur n’a pas commis de faute en soi, il est tout de même à l’origine de la rupture du contrat qu’il a signé avec la salariée, ce qui n’obère pas, pour lui, la faculté de rechercher la responsabilité de l’administration. »
Cette décision appelle plusieurs observations.
2. L’apport de l’arrêt
La Cour a fait une application stricte des effets de l’annulation d’une décision administrative, peut-être au détriment de l’équité.
a. Une application stricte du principe de disparition rétroactive des actes administratifs annulés …
Selon l’arrêt, l’annulation de la décision administrative de fin anticipée du détachement a fait disparaître celle-ci rétroactivement de l’ordre juridique.
En conséquence l’initiative de l’administration est réputée ne jamais avoir existé et a posteriori l’organisme d’accueil est censé en avoir lui-même pris l’initiative, ce qui aurait nécessité la mise en œuvre d’une procédure de licenciement.
En d’autres termes, l’association employeur « n’a pas commis de faute » en prenant simplement acte de la fin du détachement prononcée par l’administration , mais du fait de l’annulation de l’acte administratif, il a été jugé qu’elle aurait dû mettre en œuvre une procédure de licenciement, même si elle n’y était pas tenue lorsqu’elle a constaté la fin du détachement et, partant, la fin du contrat la liant à l’agent détaché.
La Cour constate donc une irrégularité a posteriori.
Cette position se fonde sur le principe selon lequel l’annulation d’un acte administratif a un effet rétroactif :
« … invariablement, « les actes annulés pour excès de pouvoir sont réputés n’être jamais intervenus ».
C’est-à-dire que l’annulation opère avec effet rétroactif : non seulement l’acte n’existe plus, mais encore il doit être considéré comme n’ayant jamais existé. »
Les Juges d’appel font une application stricte de ce principe en considérant que l’annulation pour excès de pouvoir par le Juge administratif de la décision de mettre fin au détachement prise par l’administration a eu pour effet « d’effacer de manière rétroactive cette décision » et que « il en résulte que le motif de la rupture du contrat de travail n’existe plus et que celle-ci, à l’initiative de l’association bénéficiaire du détachement, doit produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. »
Du fait de la décision du Tribunal administratif, l’organisme d’accueil est donc rétroactivement considéré comme ayant été à l’initiative de la rupture du contrat de travail le liant au fonctionnaire, alors qu’à la date de la rupture, il ne pouvait que se soumettre à la décision de l’administration de mettre fin au détachement .
Il ne pouvait valablement s’opposer à cette décision, la loi ne lui donnant la possibilité que d’accepter le détachement ou de demander qu’il y soit mis fin de sa propre initiative.
L’application du principe d’effet rétroactif aboutit donc à la fiction juridique que c’est l’organisme d’accueil qui aurait été à l’initiative de la fin anticipée du détachement, alors que cette dernière résulte de l’initiative de l’administration.
C’est là donner un effet absolu, voire excessif, audit principe et, surtout entraîner des conséquences pratiques discutables en équité.
b. … aux conséquences pratiques discutables en équité
En condamnant l’association bénéficiaire du détachement à indemniser l’agent détaché, la Cour d’Appel fait clairement peser sur celle-ci les conséquences d’une faute de l’administration.
De manière assez surprenante, au regard du principe de séparation des ordres de juridiction administratif et judiciaire, les Juges d’appel signalent dans leur arrêt « la faculté (pour ladite association) de rechercher la responsabilité de l’administration. »
Certes, il est de principe que cette dernière est responsable des conséquences dommageables des irrégularités qu’elle commet. Et le juge administratif a eu l’occasion de l’appliquer dans une hypothèse proche, celle de l’annulation d’une autorisation de licenciement d’un salarié protégé par un inspecteur du travail, considérant que « l’illégalité commise par l’administration autorisant le licenciement d’un salarié protégé constitue une faute engageant la responsabilité de l’Etat vis-à-vis de l’employeur » . Pour autant, il ne revient pas au juge judiciaire de s’immiscer dans l’appréciation de la conduite de l’administration, du régime de responsabilité administrative pas plus que de conseiller les parties sur d’éventuels recours et voies de droit ouverts dans une décision judiciaire.
Au demeurant, il n’est pas assuré que la recherche de cette responsabilité devant le Juge administratif couvre les condamnations prononcées contre l’association par le Juge judiciaire et surtout, concrètement, que l’organisme bénéficiaire, qui entretient souvent des relations privilégiées avec l’administration d’origine , prenne l’initiative d’engager sa responsabilité, au risque de compromettre ces relations.
Enfin, les effets de la décision semblent critiquables en équité, dans la mesure où elle octroie à la fonctionnaire une indemnité conséquente , alors même qu’elle n’a, en fait, subi aucun préjudice financier.
Il convient de rappeler à cet égard que la loi dispose qu’un fonctionnaire ne peut prétendre à aucune indemnité de licenciement auprès de l’organisme d’accueil du fait de la fin anticipée de son détachement.
L’article 66 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 dispose en effet à cet égard :
« Le fonctionnaire détaché est soumis aux règles régissant la fonction qu'il exerce par l'effet de son détachement, à l'exception des dispositions des articles L. 1234-9 (relatif à l’indemnité de licenciement en cas de rupture de contrat à durée indéterminée), L. 1243-1 à L. 1243-4 (relatifs à la rupture anticipée du contrat à durée déterminée) et L. 1243-6 du code du travail (relatif à la suspension du contrat à durée déterminée) ou de toute disposition législative, réglementaire ou conventionnelle prévoyant le versement d'indemnité de licenciement ou de fin de carrière. »
La fin anticipée d’une position de détachement n’est en effet pas dommageable en termes de carrière, dans la mesure où l’administration d’origine est tenue de réintégrer le fonctionnaire dans ses précédentes fonctions ou, à tout le moins, dans des fonctions correspondant à son grade .
En conclusion, cette affaire illustre la complexité des liens entre le fonctionnaire détaché et son administration d’origine (relations de droit public) et l’organisme d’accueil (relations de droit privé). Le choix de son juge donné au fonctionnaire pour obtenir réparation d’une irrégularité commise par son administration dans la fin anticipée de son détachement entre son juge naturel, le juge administratif, et le juge judiciaire, juge de son contrat ponctuel, paraît assez peu cohérent, d’autant que les conséquences sur le quantum de l’indemnisation sont importantes.
Delphine Krust
Avocate à la Cour