Article de Maître Delphine KRUST, AJCT novembre 2016, p. 588
Le Conseil d’Etat juge qu’un directeur du service culturel peut être légalement licencié pour insuffisance professionnelle lorsqu’il s’avère incapable de développer des relations de travail normales au sein de son service, quand bien même ses compétences techniques sont avérées.
« 5. Considérant toutefois qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, pour licencier M. A...pour insuffisance professionnelle, le président de la communauté urbaine de Strasbourg s'est fondé sur son incapacité à développer des relations de travail adéquates avec ses équipes, cette insuffisante compétence managériale étant susceptible de compromettre le bon fonctionnement du service public ; qu'alors même que la communauté urbaine de Strasbourg ne contestait pas les connaissances techniques de l'intéressé en matière d'action culturelle, la fonction de directeur de la culture exercée par M.A..., de nature essentiellement managériale, ainsi que la mission de réorganisation et de rationalisation du service culturel qui lui était également confiée exigeaient des qualités professionnelles de gestion, de communication, de dialogue et de conduite du changement, ainsi d'ailleurs que sa fiche de poste le mentionnait ; que les carences ainsi relevées dans la manière de servir de M. A..., de nature à établir son incapacité à remplir les fonctions qui lui avaient été confiées par la communauté urbaine de Strasbourg, étaient corroborées par des témoignages versés au dossier soumis aux juges du fond ; que, par suite, en jugeant que la manière de servir de M. A... n'était pas de nature à justifier son licenciement pour insuffisance professionnelle, la cour a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis »
Observations :
La communauté urbaine de Strasbourg a recruté un directeur du service culture pour 3 ans afin de conduire la politique culturelle de la collectivité et de réorganiser le service (CE 20 mai 2016, Communauté urbaine de Strasbourg, req. n° 387105, à paraître au recueil).
Dès la première année de service, de nombreux collaborateurs se sont plaints des méthodes managériales brutales et condescendantes du directeur, générant une crise interne grave. La collectivité a décidé, au terme d’une enquête interne établissant la réalité du comportement inadapté de l’agent, de le suspendre et d’engager une procédure disciplinaire à son encontre. Finalement, elle y mettra un terme et décida de le licencier pour insuffisance professionnelle. Le directeur a contesté tant l’arrêté de suspension de fonctions que son licenciement et demandé des dommages et intérêts. La Cour administrative d’appel, saisie du rejet de ses conclusions, a prononcé l’annulation des 2 arrêtés. Sur pourvoi de la Communauté urbaine de Strasbourg, le Conseil d’Etat a cassé l’arrêté de la Cour, considérant qu’elle avait commis une erreur de qualification juridique des faits en refusant d’appréhender les défaillances managériales de l’agent pour juger sa manière de servir.
L’insuffisance professionnelle traduit l’incapacité de l’agent à exécuter ses tâches de manière satisfaisante, à accomplir les missions qui lui ont été confiées (CE 31 mai 1968, Mme Duperré, req. n° 67050, rec.), c'est-à-dire une « mauvaise exécution des ordres de service, un manque d’investissement dans les fonctions » (CAA Paris, 21 novembre 2006, n° 04PA00634).
Le juge exerce sur la légalité de la mesure un contrôle normal sur la qualification du licenciement (CE 28 novembre 1990, Havel, rec. p. 848 ; CAA Versailles 13 novembre 2008, req. n° 08VE01079, AJFP 2009, p.99).
Le juge prend en compte la manière de servir de l’agent dans son ensemble, et recherche si elle perturbe le fonctionnement du service (CE 25 septembre 1991, Guillemette, req. n° 86542 ; CE 13 janvier 1995, CCI de Lille-Roubaix-Tourcoing, req. n° 143109 ; CE 21 février 1997, Letourneulx, req. n° 140240, AJFP 1997.45)
SI la qualité des compétences techniques mise en œuvre est essentielle pour apprécier la valeur d’un agent, le juge ne demeure pas indifférent à son caractère et à ses relations professionnelles entretenues avec ses collègues. Ainsi considère-t-il que constitue un licenciement pour insuffisance professionnelle régulier d’un directeur de régie défaillant dans la gestion du personnel et entretenant des relations difficiles avec les organes de direction (CE, 28 novembre 1990, Havel, précité), d’une assistante sociale et d’un praticien hospitalier en butte avec le personnel et le corps médical (CE 25 septembre 1991, Guillemette, req. n° 86542 ; CE 21 février 1997, Letourneulx, req. n° 140240, AJFP 1997.45), du directeur d’une Chambre du commerce et de l’industrie défaillant « dans la gestion de son personnel, ce qui a pour conséquence de créer parmi celui-ci un climat de défiance, de démotivation de nature à compromettre gravement la marche de l'établissement » (CE 13 janvier 1995, CCI de Lille-Roubaix-Tourcoing, req. n° 143109).
Mais dans l’ensemble, ces agents faisaient également montre de carences techniques dans leur manière de servir.
Dans la décision rapportée, les compétences en matière d’action culturelle du directeur du service de la communauté urbaine n’étaient pas mises en cause, mais au contraire avérées.
Seul son comportement, violent, sexiste et humiliant, à l’égard des agents sous son autorité, a fondé le licenciement pour insuffisance professionnelle.
Le Conseil d’Etat dans cet arrêt retient que des carences managériales suffisent à caractériser une insuffisance professionnelle, considérant que l’essentiel des fonctions de direction est de nature essentiellement managériale.
Ainsi, la Haute juridiction administrative attend des agents de direction des qualités professionnelles particulières, non pas seulement techniques mais également relationnelles et managériales dont la carence est de nature à justifier un licenciement. Elle précise la fonction de direction, exigeant un comportement cohérent et respectueux des collègues, « des qualités de gestion, communication et dialogue ».
Pour intéressante que soit cette solution, on retiendra que dans son arrêt, le Conseil d’Etat ne contribue pas à éclaircir la distinction entre faute disciplinaire et insuffisance professionnelle.
Certes, le juge admet que des faits peuvent également constituer une faute professionnelle et être de nature à justifier un licenciement professionnel (CE 22 octobre 1993, CGI des Apes de hautes-Provence, rec. p. 579 ; CE 17 mars 2004, Provost, req. n° 205436). Les propos outrageants, blessant et sexistes retenus en l’espèce revêtent ce caractère fautif. On relèvera d’ailleurs que l’autorité territoriale avait dans un 1er temps engagé une procédure disciplinaire à l’encontre de l’agent pour, ensuite, changer de fondement et prononcer un licenciement pour insuffisance professionnel. Le Conseil d’Etat confirme donc cette confusion des faits et des fautes.
Mais il juge surtout légal l’arrêté de suspension de fonction du directeur culturel, alors que la loi ne prévoit la suspension de fonction à titre conservatoire qu’en cas « de faute grave » (article 30 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires) et que le juge du fond considère généralement que l’insuffisance professionnelle n’est pas au nombre des motifs de nature à justifier une telle mesure (CAA Nancy 16 octobre 2004, Spiet, req. n° 00NC00827).
Rappel pratique :
Le personnel de direction de la fonction publique doit faire preuve de qualités managériales, d’écoute et de dialogue. Ces missions sont considérées comme essentielles des fonctions et leur carence peut justifier d’une part une mesure de suspension à titre conservatoire lorsque le fonctionnement du service s’en trouve compromis, d’autre part un licenciement pour insuffisance professionnelle.
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