Dans un arrêt du 6 mai 2011 (Isabelle A. c/ Commune de Nogent-sur-Marne (req. n° 330020), le Conseil d'Etat juge qu'un agent public ne peut voir engager sa responsabilité personnelle , dès lors qu’il commet un dommage avec les moyens de l’administration, lorsque celle-ci en est parfaitement informée et lui a fourni l’occasion ou l’autorisation d’utiliser ces moyens.
La secrétaire générale d’une commune de région parisienne avait pour habitude d’utiliser un véhicule de la commune à des fins personnelles et professionnelles. Alors qu’elle s’était rendue à Paris dans le cadre d’un déplacement privé, son véhicule, stationné dans un parking souterrain, avait pris feu, du fait d’un mauvais entretien.
À la suite d’un contrôle de la chambre régionale des comptes et à l’occasion d’un changement de municipalité, le maire avait émis un titre exécutoire réclamant à son ancienne secrétaire générale le règlement du remplacement de l’automobile et la réparation des conséquences financières de l’incendie. L’agent avait contesté le titre de recettes et le commandement de payer émis à son encontre. Alors que le tribunal administratif avait retenu l’existence d’une faute personnelle à l’occasion de l’utilisation du véhicule de service à des fins purement privées en l’absence de délibération régulière du conseil municipal l’autorisant, le Conseil d’État a censuré cette décision, considérant que cette faute n’était pas détachable du service, dès lors que l’utilisation à des fins personnelles du véhicule de service avait été autorisée par un usage.
Le Conseil d’État a ainsi considéré que l’attitude de l’agent caractérisait, certes une faute personnelle, dans la mesure où le véhicule avait été utilisé à des fins personnelles, mais que cette faute n’était pas détachable du service dès lors qu’elle avait été commise avec les moyens du service.
La caractérisation d’une faute de cette nature engageait la responsabilité de l’administration en application d’une jurisprudence traditionnelle (CE Assemblée, 28 juillet 1951, Laruelle et Delville, rec. p. 464 ; a contrario CAA Nancy, 4 mai 2000, req. n° 96-NC-00691 – AJFP 2001, p. 30).
En l’espèce, la question de la fourniture des moyens par l’administration consistait à rechercher si l’utilisation par la secrétaire générale du véhicule de service afin de conduire ses affaires personnelles à Paris avait ou non bénéficié d’une autorisation de la commune.
Alors que le tribunal administratif avait constaté que cette utilisation n’avait pas été régulièrement autorisée par la commune, le Conseil d’État a, pour sa part, retenu l’existence d’un usage, c’est-à-dire d’une autorisation au moins implicite par la commune, d’utilisation du véhicule de service pour l’usage strictement personnel de l’agent.
Il convient à cet égard de rappeler qu’à l’époque des faits, en 1998, la mise à disposition de véhicules de fonction et de service aux agents territoriaux n’était pas soumise à un régime législatif particulier. L’octroi de cet avantage en nature n’était pas régulier. Seules, l’attribution de véhicules de service, l’autorisation de remisage éventuel au domicile de l’agent et l’autorisation très exceptionnelle d’utilisation à des fins privatives étaient soumises aux conditions d’organisation et de fonctionnement du service public fixées par l’assemblée délibérante (Rép. Min. QE n° 4775, JO AN, 7 avril 1997, p. 1799).
Ce n’est que par la loi du 12 juillet 1999 relative à l’intercommunalité que les dispositions de l’article 21 de la loi n° 90-1067 du 28 novembre 1990 afin de donner un fondement légal à l’attribution d’un véhicule par nécessité absolue de service à certains emplois fonctionnels des collectivités territoriales et emplois de cabinets, légalisant ainsi une pratique générale dans les collectivités territoriales et encadrant ainsi, dans la transparence, l’attribution d’avantages en nature et protégeant les bénéficiaires en cas d’accident survenu à l’occasion de cette utilisation. Désormais, il ne sera plus nécessaire au juge administratif d’opérer ces circonvolutions observées dans l’arrêt du 6 mai 2011 aux termes desquelles il est contraint de rechercher un usage pour protéger l’agent des conséquences de cette pratique qui ne pouvait, en tout état de cause, perdurer sans l’accord évident de la collectivité employeur.
Dans la décision rapportée, le juge protège, une fois encore, l’agent à raison des accidents causés par un véhicule du service à des fins que l’administration savait pertinemment personnelles.
La loi dite « Chevènement » du 12 juillet 1999 a permis probablement de tarir ce type de contentieux, qui ne devrait plus conserver qu’un caractère historique, poussant le juge à raisonner à partir de principes généraux parfaitement établis tout en n’hésitant pas à tordre certains faits pour protéger les agents et les victimes éventuelles qui trouveront ainsi une administration solvable pour réparer leurs dommages.
AJCT octobre 2011, p. 475.
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