(AJCT décembre 2011, p. 571 et suivante)
Le Conseil d'État réuni en section rappelle que le bénéfice de la protection fonctionnelle doit être accordé aux élus, en application d'un principe général du droit, en l'absence de faute personnelle détachable du service.
Une Chambre du commerce et de l'industrie devait donc prendre en charge les frais de justice exposés par son président pour les besoins de sa défense dans le cadre de poursuites pénales intentées à son encontre à raison de ses fonctions.
« Considérant que, lorsqu'un agent public est mis en cause par un tiers à raison de ses fonctions, il incombe à la collectivité publique dont il dépend de le couvrir des condamnations civiles prononcées contre lui, dans la mesure où une faute personnelle détachable du service ne lui est pas imputable, de lui accorder sa protection dans le cas où il fait l'objet de poursuites pénales, sauf s'il a commis une faute personnelle, et, à moins qu'un motif d'intérêt général ne s'y oppose, de le protéger contre les menaces, violences, voies de faits, injures, diffamations ou outrages dont il est l'objet ; que ce principe général du droit a d'ailleurs été expressément réaffirmé par la loi, notamment en ce qui concerne les fonctionnaires et agents non titulaires, par l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant statut général de la fonction publique, et par les articles L. 2123-34, L. 2123-35, L. 3123-28, L. 3123-29, L. 4135-28 et L. 4135-29 du Code général des collectivités territoriales, s'agissant des exécutifs des collectivités territoriales ; que cette protection s'applique à tous les agents publics, quel que soit le mode d'accès à leur fonction [...] ».
Le président de la Chambre du commerce et de l'industrie de Toulouse avait été poursuivi pour des faits de trafic d'influence par une personne exerçant une fonction publique, et de recel d'abus de confiance. Il avait été relaxé de ces poursuites et avait alors demandé à la CCI de prendre en charge les frais exposés pour sa défense, ce qui lui avait été refusé.
Les juges du fond ayant rejeté ses demandes d'annulation de la décision de refus, il s'est pourvu en cassation.
Le Conseil d'État, réuni en section, rappelle fermement et clairement que le droit à la protection fonctionnelle de tout agent public, quel que soit son statut et son employeur, relève d'un principe général du droit d'ores et déjà ancien. Dès 1932, le Conseil d'État avait été amené à statuer sur cette question, s'agissant de l'action en diffamation intentée par un maire et qui avait souhaité voir pris en charge par la commune les frais de cette procédure. Le Conseil d'État avait, en l'espèce, écarté la prise en charge au motif qu'aucun intérêt local ne le justifiait, sans pour autant l'exclure par principe (CE, 1er juillet 1932, Lallemand, rec. p. 655). Par la suite, les statuts successifs des fonctionnaires de l'État et des agents des communes et des établissements publics communaux ont prévu l'obligation de l'administration de couvrir les condamnations civiles prononcées à l'encontre de leurs agents, dès lors qu'aucune faute personnelle détachable de l'exercice de leur fonction ne pouvait leur être imputée. Le Conseil d'État a enfin consacré ce droit comme un principe général applicable à tout agent public (CE section, 5 mai 1971, Gillet, req. n° 794094, rec. p. 324). L'application de ce droit a donné lieu à de nombreuses extensions législatives, notamment dans le cadre de l'élaboration des statuts de la fonction publique des lois Le Pors.
En l'absence de disposition législative spéciale applicable aux élus, le juge administratif, s'est fondé ce principe général du droit applicable à l'ensemble des agents publics consacré par les statuts pour les en faire bénéficier (CAA Bordeaux, 25 mai 1998, req. n° 96-BX-01847).
Afin de permettre toutefois une protection claire de ses élus, le législateur a éprouvé le besoin d'inscrire dans leur statut ce droit à la protection fonctionnelle des exécutifs locaux, lorsque ceux-ci font l'objet « de poursuites pénales à l'occasion de faits qui n'ont pas le caractère de faute détachable de l'exercice de ces fonctions » ou sont victimes de « violences, menaces ou outrages » dans le cadre de leurs fonctions (cf. articles du CGCT cités dans l'abstract).
L'intérêt de l'arrêt de la section du contentieux du Conseil d'État est double.
De première part, il ajoute que cette protection est applicable à l'ensemble des agents publics, quel que soit leur mode de recrutement. On peut alors se demander si le bénéfice de cette protection rappelée en ces termes, s'agissant des élus locaux, n'excéderait pas le seul champ d'application des dispositions du Code général des collectivités territoriales qui en limitent le droit aux seuls exécutifs locaux ou élus ayant reçu délégation de fonction de leur part. En d'autres termes, il nous semble que l'ensemble des membres des assemblées délibérantes des collectivités territoriales devraient bénéficier de ce droit à la protection fonctionnelle.
De seconde part, le Conseil d'État rappelle la distinction entre les droits à la protection fonctionnelle lorsque l'agent est victime dans le cadre de ses fonctions, en cas de condamnation civile prononcée à son encontre, ou de poursuites pénales, celles-ci reposant sur des fondements juridiques distincts.
En cas de condamnation civile, l'administration doit couvrir son agent des condamnations, en présence d'une faute de service ou d'une faute personnelle non détachable de l'exercice de ses fonctions (CE section, 3 décembre 1948, commune de Berre-l'Étang, req. n° 457 ; CE section, 26 avril 1963, centre hospitalier de Besançon, rec. p. 243, conclusions Chardeau).
En matière de poursuites pénales, la protection fonctionnelle doit être accordée à l'agent s'il n'a pas commis de faute personnelle. Celle-ci résulte d'une faute d'une exceptionnelle gravité, d'un excès grave de comportement ou lorsque l'agent a poursuivi des préoccupations d'ordre strictement privé. (CE, 10 mars 2010, commune de Coudekerque-Branche, req. n° 321125).
Enfin, ce principe d'intérêt général implique l'obligation, pour la puissance publique, de protéger son agent lorsqu'il est victime de violences verbales ou physiques, sauf motif d'intérêt général qui s'opposerait à la mise en oeuvre du bénéfice de cette protection.
Il convient enfin de relever que le cas objet de l'arrêt commenté serait réglé désormais sans qu'il soit besoin d'invoquer l'application d'un principe général du droit, dans la mesure l'article L. 712-10 du Code de commerce (introduit par l'article 6 de la loi n° 2010-853 du 28 juillet 2010), prévoit expressément cette l'obligation pour tout établissement du réseau des chambres du Commerce et de l'industrie, d'accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle à leur président, leur trésorier ou aux élus les suppléant ou ayant reçu une délégation ou enfin, les anciens élus ayant quitté leur fonction. De la sorte, alors même que le Conseil d'État était conduit régulièrement à réaffirmer l'existence et l'application de ce principe général du droit de la protection fonctionnelle de tout agent public, le législateur éprouve le besoin tout aussi constant d'énumérer les bénéficiaires, mais de manière souvent restrictive.
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