Maître Delphine KRUST a répondu aux questions de la rvue LEXBASE droit public de cette semaine (n°223 du 16 novembre 2011) concernant la portée de l'ordonnance rendue le 5 octobre dernier par le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise
Yann Le Foll : Pouvez vous nous rappeler brièvement les règles de recrutement des agents non titulaires de la fonction publique ?
DK : Le recrutement des agents non titulaires dans la fonction publique est régi par les dispositions de l’article 3 de la loi du 26 janvier 1984.
Il était à l’origine prévu que le recrutement des agents contractuels ne pourrait être effectué que dans des hypothèses limitativement énumérées par la loi, liées d’une part au remplacement d’agents indisponibles ou pour faire face temporairement et pour une durée d’une année au maximum, à la vacance d’un emploi, d’autre part en cas de survenance d’un besoin occasionnel ou saisonnier, pour une durée limitée à 6 mois, enfin pouvaient être pourvus des emplois permanents des collectivités locales et de leurs établissements publics par des agents contractuels, pour une durée pouvant aller jusqu’à trois années.
Jusqu’en 2005, ces contrats pouvaient légalement être reconduits, sans limitation de durée.
Ce faisant, des agents non titulaires ont pu longuement occuper des emplois de la fonction publique légalement dévolus aux fonctionnaires, sans bénéficier des droits liés au statut, et surtout en demeurant dans une situation de grande précarité, puisqu’ils devaient régulièrement être reconduits dans leur emploi.
Le législateur et le pouvoir réglementaire ont ponctuellement et pour des cas limités, ouverts la possibilité de recrutement d’agents contractuels pour une durée indéterminée.
Peuvent être cités à ce titre :
– l’article 3 du décret 86-83 du 17 janvier 1986 qui offre la possibilité de recruter par contrat à durée indéterminée les agents non titulaires engagés pour occuper des fonctions impliquant un service à temps incomplet en vertu du premier alinéa de l’article 6 de la loi du 11 janvier 1984 ;
– la loi 2000-321 du 12 avril 2000 en ses dispositions relatives aux « Berkaniens » (articles 34 et 35-1) ;
– les hypothèses de reprise du personnel à l’occasion du transfert d’une activité économique.
La loi n°2005-843 du 26 juillet 2005 portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique a encore ouvert les cas de recrutement d’agents à durée indéterminée, sous la pression communautaire, mais dans les conditions strictement limitées. Outre le cas d’agents en poste de plus de 50 ans dont le contrat a été transformé automatiquement en CDI, le législateur a prévu que l’agent occupant un emploi permanent sur fondement des alinéas 4, 5 et 6 de la loi statutaire, ne peuvent être renouvelés que pour une durée indéterminée. Sont donc exclus bénéficie de ce dispositif de pérennisation des emplois les agents collaborateurs ou les agents ayant enchaîné des missions ponctuelles, malgré leur nombre d’années de présence dans la fonction publique.
Le projet de loi déposé le 7 septembre dernier sur le bureau du Sénat devrait modifié les cas de recours à des agents contractuels.
Y. L. F. : Le législateur a-t-il explicitement prévu le droit au renouvellement des agents de la fonction publique en CDI ?
DK : Explicitement, non.
Actuellement encore, demeure que les agents non titulaires de la fonction publique ne bénéficient d’aucun droit au renouvellement de leur contrat.
Ce n’est que sous l’effet du droit communautaire qui est indifférent à la nature juridique du contrat et de son employeur (directive 1999/70/CE du conseil des communautés européennes du 28 juin 1999 concernant l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée), que le droit national a été conduit à proscrire les abus de contrats à durée déterminée dans la fonction publique.
Ainsi, par la loi du 26 juillet 2005, le législateur a été conduit à ouvrir la possibilité aux agents non titulaires occupant des emplois permanents pour les besoins de l’administration depuis six années, à se voir pérennisés sous la forme de contrats de droit public à durée indéterminée.
Mais, outre que la catégorie d’agents visés par ce mécanisme est limitée, le législateur ne consacre pas un droit au renouvellement des agents, en CDI.
Pire, il n’a même prévu aucune sanction administrative ou financière pour les administrations qui abusent des contrats à durée déterminée. La seule disposition utile consiste à rendre obligatoire en cas de renouvellement la conclusion d'un contrat à durée indéterminée. En d'autres termes, permettre aux employeurs publics de ne pas renouveler le contrat des agents en CDD continue depuis 6 années aboutit nécessairement à priver de toute effet utile le dispositif de la directive que celui de sa transposition par la loi du 26 juillet 2005. C'est pourquoi il nous semble que cette obligation de renouvellement du contrat, en CDI, est inhérente à l'objectif de la directive et de la loi : prévenir de manière efficace l'utilisation abusive de contrats ou relations de travail à durée déterminée successifs (CJCE 7 septembre 2006, Christiano Marrosu et autres, aff. C-53/04).
L’aboutissement de ce processus de pérennisation a conduit les partenaires sociaux à conclure un dernier accord-cadre le 31 mars 2011 et un projet de loi a été déposé par le gouvernement en septembre dernier. Il prévoit notamment en son article 7 que les agents en fonction depuis 6 années lors de l’entrée en vigueur du texte se voient obligatoirement proposer un CDI. En revanche, le droit au renouvellement n’est toujours pas prévu. Il n’est pas exclu toutefois que la CJUE ne l’impose.
Y. L. F. : Quelle est la position du juge administratif en la matière ?
DK : Jusqu’à présent, la question du non-renouvellement des contrats des agents publics demeurait d’application délicate.
Régulièrement, le juge administratif rappelle le principe traditionnel de l’absence, pour l’agent dont le contrat est arrivé à échéance, de droit au renouvellement de celui-ci (CE 5 septembre 1990, Walmsley et encore dernièrement : CAA Paris, 31 janvier 2011, req. n° 09-PA-02330, AJFP 2011, p. 187). Pour autant, les juges du fond étaient souvent amenés à examiner les conditions dans lesquelles l’autorité administrative décidait de ne pas renouveler l’engagement.
Les décisions de non-renouvellement des contrats des agents non titulaires dans leur ensemble doivent être motivées, soit par l’intérêt du service, lequel s’apprécie au regard des nécessités liées à l’organisation du service telles que les contraintes budgétaires ou la disparition ou l’évolution des besoins, soit au regard du comportement et à l’aptitude de l’agent aux fonctions et dans l’exercice de ses fonctions, ceci englobant l’inaptitude professionnelle et la faute disciplinaire (CE, 23 janvier 1981, Mongin).
Il nous semble que l’analyse des décisions de la jurisprudence récente des juges du fond peut conduire à distinguer deux régimes, s’agissant du non-renouvellement des contrats des agents non titulaires : celui de droit commun concernant l’ensemble de l’absence de droit à renouvellement des contrats de ses agents et du contrôle juridictionnel exercé par le juge administratif et l’application de la loi du 26 juillet 2005, transposant la directive du 28 juillet 1999.
Ainsi, il sanctionne le refus de conclusion du contrat à durée indéterminée au motif qu’il entraînerait une dépense excessive pour le budget de la collectivité ou sur une trop longue durée (CAA Versailles, 21 janvier 2010, Regnier, req. n° 08VE00628 ; CAA Bordeaux 2 février 2010, Université de Bordeaux I, req. n°09BX00963,) ou par le fait que le poste pourrait être occupé par un fonctionnaire (TA Montpellier 6 juillet 2009, Rolland, req ; n° 0805260). En revanche, s'agissant d'un agent non titulaire classique, le juge administratif considère que le recrutement d'un fonctionnaire justifie la décision du non renouvellement du contrat (CAA Nancy 2 juin 2005, Mme Dubinsky, req. n° 02NC00640).
Dans ce deuxième cas, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise dans deux ordonnances des 29 août et 5 octobre dernier a proposé une avancée importante, puisqu’il a consacré le principe selon lequel cet agent a « vocation à » se voir proposer le renouvellement de ce contrat. À notre sens, cette expression tend à aligner le sort des agents non titulaires occupant un emploi permanent pour l’administration depuis plus de six ans sur celui des agents stagiaires qui, après réussite à un examen ou à un concours, ont vocation à intégrer la fonction publique.
Mais cette promotion est encore en cours de construction. Le Conseil d’État ne s’est pas prononcé, sur ces interprétations et il est probable que l’intervention du législateur, si le projet de loi demeure en l’état, suffira à consacrer ce droit au contrat à durée indéterminée des agents en poste depuis 6 années au moins.
Les conséquences tirées de l’irrégularité du refus de renouvellement du contrat demeurent-elles circonscrites au cas des agents dont l’emploi est pérennisé ou s’appliquent-elles à tous les agents non titulaires ?
Il convient de bien distinguer trois stades d’analyse : le fait que l’administration ne dispose pas d’un droit à ne pas renouveler le CDD arrivé à son terme concernant l’ensemble des agents non titulaires et ce nouveau droit au renouvellement des contrats, que semble avoir dégagé le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise et la transformation de tous les CDD en CDI des agents contractuels employés depuis 6 années au moins.
S’agissant de la première hypothèse, le juge administratif se fait de plus en plus protecteur, nous semble-t-il, du sort des agents non titulaires de la fonction publique.
Dans le deuxième cas, le juge a dégagé la notion de « vocation » des agents contractuels occupant un emploi permanent depuis plus de six ans à se voir renouvelés sous un contrat à durée indéterminée, à la fin de son engagement
Enfin, le projet de loi devrait faire peser sur l’employeur public une véritable obligation positive, dès qu’elle entrera en vigueur, de transformer tous les contrats des agents en poste depuis 6 années au moins en CDI, de trois années seulement pour les agents âgés de plus de 50 ans.
Un nouveau débat sera alors ouvert : puisqu’il s’agira d’une transformation de contrat en CDI, seule la durée sera réputée modifiée, les conditions initiales du contrat devraient demeurer inchangées. Aujourd’hui, la question est déjà posée à l’occasion du renouvellement des agents en CDI, les employeurs publics n’hésitant pas à renégocier les clauses essentielles des contrats de recrutement, notamment financières.
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