La notion de conflit d’intérêts recouvre de nombreux champs du droit, qu’il s’agisse de la santé, de la justice, des affaires, des finances, de la fonction publique et de la vie politique actuellement.
1 – Définition de la notion de conflit d’intérêts
Si elle a d’abord été conçue comme une question de représentation des intérêts d’autrui dans un cadre patrimonial, elle revêt aujourd’hui un caractère protéiforme puisqu’elle vise à englober tout lien d’intérêt, quelle que soit sa nature : familial, patrimonial, intellectuel... afin d’éviter que des situations d’interférence entre intérêt public et privé se créent et aboutissent à des conflits « de nature à compromettre l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction »[1].
Longtemps, cette notion de conflit d’intérêts, tout particulièrement dans le cadre de la vie politique et des affaires, était réservée au champ du droit pénal qui prohibe et sanctionne le délit de prise illégale d’intérêt[2]. Cependant, il s’agissait là d’une approche strictement répressive, qui ne permettait pas de lutter contre ce qui est apparu au cours des dernières décennies du XXe siècle, comme une préoccupation majeure de la politique, liée à la volonté de lutter contre la défiance croissante des citoyens en l’autorité publique et en ses institutions et ses représentants.
Ont alors été édictées les premières lois relatives à la transparence financière de la vie politique, des règles déontologiques imposées à tous les acteurs publics tels que les hauts fonctionnaires amenés à exercer des fonctions dans le secteur privé, la multiplication de codes de conduite et de charges déontologiques, de déclarations d’intérêts...
C’est ainsi qu’il est apparu nécessaire de ne plus légiférer exclusivement en matière de droit pénal qui se contente de sanctionner une situation objective et consommée de contractions entre plusieurs intérêts, mais de prévenir ce type de situation et, surtout, d’éviter désormais toute confusion des intérêts qui seraient de nature à influencer ou paraître influencer l’exercice indépendant, objectif et impartial de la fonction publique exercée. La notion de conflit d’intérêts s’est donc élargie, non seulement à l’existence réelle de deux intérêts en cause, mais à la seule éventualité ou à la seule apparence d’une situation dans laquelle une personne en charge d’un intérêt autre que le sien n’agirait pas ou pourrait être soupçonnée de ne pas agir de manière loyale ou impartiale vis-à-vis de cet intérêt. Il pourrait être alors craint qu’elle ne poursuive un but différent, qui consisterait à avantager un autre intérêt, le sien ou celui d’un tiers.
Dans le cadre de cette évolution sociologique et politique, le législateur a été conduit à définir récemment la notion de conflit d’intérêts. L’article 2 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique dispose à cet égard :
« Constitue un conflit d’intérêts, toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts privés ou des intérêts publics qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction ».
Cette définition s’applique, selon cette loi, aux personnes exerçant des fonctions publiques, électives ou administratives que sont les membres du gouvernement, les personnes titulaires d’un mandat électif local ainsi que celles chargées d’une mission de service public[3].
Le maire, les adjoints, les Président, vice-président d’une collectivité territoriale entrent donc dans le champ d’application de ce texte, en sa qualité de personne titulaire d’un mandat électif.
L’élu se doit donc d’exercer ses fonctions avec « dignité, probité et intégrité » et veiller « à prévenir ou à faire cesser immédiatement tout conflit d’intérêts ».
2 – Les obligations qui en découlent
Cette obligation prend la forme d’une obligation d’abstention, c’est-à-dire que la personne qui serait conduite à gérer deux intérêts distincts ou pourrait être amenée à se trouver dans cette situation doit se déporter et s’abstenir d’intervenir dans ces domaines d’activité visés.
Également, elle est soumise à une obligation déclarative qui consiste à faire état de sa situation patrimoniale et remplir une déclaration d’intérêt retraçant leurs activités et identifiant leurs relations[4].
2 – 1 l’obligation de déport
L’obligation de déport est quant à elle précisée par les dispositions du décret n° 2014-90 du 31 janvier 2014.
S’agissant des titulaires de fonctions électives locales, le décret distingue deux situations : celle de la personne qui exerce les fonctions d’exécutif local, et celle de la personne qui a reçu une délégation d’attribution.
En qualité de tête de l’exécutif local, le décret prévoit que lorsque l’élu estime « se trouver en situation de conflit d’intérêts », qu’il agisse en vertu de ses pouvoirs propres ou par délégation de l’organe délibérant, il doit prendre un arrêté mentionnant la teneur des questions pour lesquelles il estime ne pas devoir exercer ses compétences et désigner alors la personne chargée de le suppléer. L’élu ne peut plus, dès lors, adresser aucune instruction à la personne ainsi désignée dans les domaines de compétences concernés.
S’agissant des élus ayant reçu délégation, l’article 6 du décret du 31 janvier 2014 précité prévoit alors que qu’ils sont tenus d’informer le délégant par écrit de l’éventualité de la situation de conflit d’intérêts à laquelle ils peuvent être confrontés en précisant, cette fois encore, la teneur des questions pour lesquelles ils estiment ne pas pouvoir exercer leurs compétences. L’autorité exécutive détermine alors ensuite, par arrêté, les questions pour lesquelles ils doivent renoncer à l’exercice de ces compétences.
2 – 2 Les obligations déclaratives
Ainsi qu’il a été rappelé ci-dessus, les articles 12 de la loi du 11 octobre 2013 et 6 du décret n° 2013-1212 du 23 décembre 2013 d’application prescrivent la publication des déclarations d’intérêt des titulaires des mandats électifs locaux.
L’absence de déclaration de ces intérêts ou d’une partie de ceux-ci est punie d’une peine de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d'amende[5].
[1] Rapport de la Commission Jospin « Pour un renouveau démocratique » - 2011 – p. 91.
[2] Art. 432-12 du Code pénal, lequel est : « Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou par une personne investie d’un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement ».
[3] Article 1 de la loi précitée.
[4] Les maires des communes de plus de 20 000 habitants, les présidents d’EPCI à fiscalité propre de plus de 20 000 habitants, les adjoints aux maires des communes de plus de 100 000 habitants et les vice-présidents d’EPCI de plus de 100 000 habitants sont soumis à l’obligation de remplir une déclaration de patrimoine et une déclaration d’intérêt. Les déclarations d’intérêt des élus locaux doivent être publiées « sur un site Internet public unique d’accès gratuit », les déclarations de patrimoine sont déposées auprès de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique et consultables par tout électeur.
[5] Article 26 de la loi précitée.
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