Conseiller municipal intéressé : rappel à la prudence en matière de conflits d'intérêts (CE 17 novembre 2011, SCI Domaine de la Rçoire, de n° 338338)
Sommaire : Annulation de la délibération du conseil municipal décidant de la cession de parcelles d'un chemin rural en échange de l'attribution de parcelles appartenant à une SCI à laquelle a participé le maire de la commune, associé de la société concernée par l'opération. La nullité est encourue du fait de la présidence par l'élu intéressé de la séance au cours de laquelle la délibération a été adoptée, bien qu'il n'ait pas été rapporteur du projet, et de sa présence lors du vote, bien qu'il n'y ait pas pris part. |
Texte intégral : « Considérant, d'une part, qu'il ressort des pièces du dossier qu'à la date de la délibération litigieuse, M. L. était à la fois maire de la commune de Monistrol-sur-Loire et associé de la SCI Domaine de la Rivoire, dont son épouse assurait la gérance ; que la société poursuivait des objectifs qui ne se confondaient pas avec les intérêts de la généralité des habitants de la commune ; que, par suite, M. L. avait, en sa qualité d'associé de la SCI Domaine de la Rivoire un intérêt distinct de celui de la commune à la cession des parcelles du chemin rural et doit être regardé, au sens de l'article L. 121-35 du code des communes [repris à l'article L. 2131-11 du CGCT], comme intéressé à l'affaire ayant fait l'objet de la délibération ; Considérant, d'autre part, que si M. L. n'a pas été le rapporteur du projet devant le conseil municipal et n'a pas pris part au vote de la délibération litigieuse, il ressort des pièces du dossier que la séance au cours de laquelle cette délibération a été adoptée s'est déroulée sous sa présidence et qu'il était présent lors du vote, qui a eu lieu à main levée ; que, dans les circonstances de l'espèce, la participation du maire à cette séance a été de nature à exercer une influence sur la délibération du conseil municipal ; que, dès lors, la délibération du 30 mai 1986 est intervenue en méconnaissance des dispositions précitées du code des communes. » |
Note de Stéphane Penaud :
Aux termes de l'article L. 2131-11 du code général des collectivités territoriales : « Sont illégales les délibérations auxquelles ont pris part un ou plusieurs membres du conseil intéressés à l'affaire qui en fait l'objet, soit en leur nom personnel, soit comme mandataires ».
La décision rapportée caractérise l'intérêt illégal d'un maire à l'échange de parcelles entre sa commune et une SCI dont il était associé, et sa femme gérante, au motif que cette société « poursuivait des objectifs qui ne se confondaient pas avec les intérêts de la généralité des habitants de la commune ». Il s'agit là d'une solution traditionnelle (CE 16 déc. 1994, Commune d'Oullins, req. n° 145370, Lebon 539 ; AJDA 1995. 72 ; RFDA 1995. 212 ; CE 9 juill. 2003, Caisse régionale de Crédit Agricole mutuel de Champagne-Bourgogne, req. n° 248344 ; AJDA 2003. 1838 ; ibid. 2264, note D. Blaise ; JCP Adm. 2003. 1926, note Moreau).
Son application en l'espèce est d'autant moins surprenante qu'était en cause la participation de l'élu à une société à but lucratif dont il était associé à titre personnel. En effet, la jurisprudence considère que l'intérêt prohibé par l'article L. 2131-11 peut résulter de la qualité de membre ou de dirigeant d'un organisme « bien que dépourvu de but lucratif » (CE 16 déc. 1994 ; CE 9 juill. 2003, préc.) et au sein duquel l'élu concerné siège en qualité de représentant de la commune (CE 9 juill. 2003, préc.).
Est en revanche licite la participation à des décisions concernant des organismes privés dont l'objet est précisément de garantir le respect des intérêts de la commune (dans le cas d'une association instituée dans un cadre intercommunal pour gérer une réserve naturelle « dans l'intérêt des communes concernées », v. CE 17 nov. 1999, Riche, DA 2000, comm. 44) et dont l'élu concerné est membre « en raison de ses fonctions » (même arrêt), ou des organismes publics, compte tenu de leur caractère public (CAA Versailles, 15 mai 2008, Ville de Versailles, req. n° 06VE01131, AJDA 2008. 1676).
Il n'y a pas plus intérêt à l'affaire que lorsque l'élu est concerné en qualité d'habitant ou de contribuable de la commune. Il en a ainsi été jugé dans le cas de délibérations permettant le raccordement d'un hameau à un réseau d'eau potable (CE 10 janv. 1992, Association des usagers de l'eau de Peyreleau, Lebon 13), concernant des opérations de remembrement (CE 20 juill. 1988, Arzalier, Dr. adm. 1988, comm. 493) ou modifiant le classement de parcelles dans le cadre de la révision d'un plan d'occupation des sols (CE 30 déc. 2002, Association Expression Village, req. n° 229099).
Sur la participation à la délibération également, la solution dégagée par l'arrêt est traditionnelle en ce qu'elle sanctionne l'élu pour avoir présidé la séance et été présent lors du vote de la délibération. La présidence de la séance avait ainsi déjà été jugée suffisante, à elle seule, pour emporter la nullité de la délibération (CE 11 déc. 1992, Stehly, req. n° 89121).
Plus récemment, l'arrêt Caisse régionale de Crédit Agricole mutuel de Champagne-Bourgogne (CE 9 juill. 2003, préc.) avait également considéré irrégulière la simple participation des élus intéressés à la délibération, qui « ne pouvait être regardée comme ayant été sans influence sur le résultat du vote, alors même que ce dernier a été acquis à l'unanimité ».
La transposition de la solution à l'espèce est d'autant plus justifiée que le scrutin a été effectué à main levée, mode qui permettait au maire de s'assurer du sens du vote des conseillers.
Stéphane Penaud
Rappel pratique : Le Conseil d'État confirme la rigueur avec laquelle il entend faire respecter la prohibition des conflits d'intérêts des élus locaux. Rappel opportun à l'heure où la proposition de loi de simplification du droit, adoptée en première lecture par les sénateurs, le 14 décembre 2010, vise à assouplir le délit de prise illégale d'intérêts.
AJCT, Janvier 2011, Dalloz