Une réforme d’origine parlementaire du délit de prise illégale d’intérêts (article 432-12 du code pénal) est en cours d’adoption, le texte étant examiné par la Commission des Lois de l’Assemblée Nationale après son vote par le Sénat le 24 juin 2010.
Pour mémoire, rappelons que la modification projetée du texte d’incrimination vise à la restriction de la notion de l’intérêt prohibé par la substitution de la notion « d’intérêt personnel distinct de l’intérêt général » à celle « d’intérêt quelconque ».
Nous avions, à cette occasion, exprimé nos doutes sur une réforme jugée « injustifiée, inopportune et d’une efficience peu assurée » (Stéphane Penaud, Le serpent de mer de la réforme du délit de prise illégale d’intérêts, Actu élus locaux, Lettre d’information des experts-comptables aux collectivités locales, novembre 2010, p.61).
Il semble aujourd’hui qu’elle ait peu de chance d’aboutir, du moins dans sa version actuelle.
Des affaires récentes au fort retentissement médiatique en rendraient en effet l’adoption en l’état politiquement délicate.
Bien plus, ces affaires ont amené le Président de la République à instituer une Commission de réflexion pour la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique, aux fins de « faire toute proposition pour prévenir ou régler les situations de conflits d’intérêts dans lesquelles peuvent se trouver les membres du Gouvernement, les responsables des établissements publics et des entreprises publiques ainsi que, le cas échéant, les autres agents publics dont la nature particulière des missions le justifierait. » (décret n° 2010-1072 du 10 septembre 2010).
La Commission a remis son rapport le 20 janvier 2011 (disponible sur ww.conflits-interets.fr)
Tout en manifestant son attachement au délit de l’article 432-12, qui « doit impérativement être maintenu dans son principe » (p. 78 du rapport), elle en propose une modification, dans un large cadre d’harmonisation de l’ensemble des textes relatifs aux conflits d’intérêts, qu’il soient de nature préventive ou répressive.
Plus précisément, la Commission « estime qu’il y a lieu d’harmoniser l’ensemble des textes en la matière, y compris les dispositions qui sanctionnent de nullité ou d’illégalité les délibérations auxquelles ont pris part des personnes ayant un intérêt à l’affaire (notamment l’article L.2131-11 du CGCT), et de ne prévoir de sanction qu’en présence d’un intérêt de nature à compromettre l’impartialité, l’indépendance ou l’objectivité de la personne. » (p. 78 du rapport)
En conséquence, elle émet la proposition suivante (Proposition n° 12, p. 116 du rapport) :
« Mettre en cohérence les dispositifs répressifs et préventifs , en précisant, à l’article 432-12 du code pénal relatif à la prise illégale d’intérêts, qu’est sanctionnée la prise d’un intérêt « de nature à compromettre l’impartialité, l’indépendance ou l’objectivité » de la personne. »
La modification ainsi préconisée aurait, comme l’indique le rapport, pour effet de restreindre la définition de l’intérêt pénalement prohibé en l’alignant en partie sur celle qui en est moins largement donnée par le statut général des fonctionnaires (notamment l’article 25-I-3° de la loi du 13 juillet 1983 qui interdit aux agents publics « la prise, par eux-mêmes ou par personnes interposées, dans une entreprise soumise au contrôle de l'administration à laquelle ils appartiennent ou en relation avec cette dernière, d'intérêts de nature à compromettre leur indépendance. ») ou d’autres textes spécifiques (p. 78 du rapport).
Plus précisément, alors que la rédaction actuelle de l’article 432-12 définit largement l’intérêt prohibé par la notion « d’intérêt quelconque », « sans égard à sa nature ou son intensité » (rapport p. 32), la nouvelle rédaction le définirait, de manière plus limitée, en fonction de sa nature.
Contrairement au texte voté par le Sénat, la modification du délit de prise illégale d’intérêts proposée par la Commission présente l’avantage de la situer dans le cadre d’une réforme d’ensemble, qui renforce les mesures préventives.
En cela, elle peut être approuvée.
En effet, la réponse pénale est toujours un constat d’échec des systèmes de régulation.
Si l’objectif qui justifie l’incrimination de l’article 432-12 (qui est, pour rappeler les propos de Portalis « d’écarter (des agents publics) jusqu’au soupçon de mêler des vues d’intérêt privé avec les grands intérêts publics confiés à leur sollicitude ») peut être atteint par la mise en place d’une règlementation préventive efficiente, telle que la propose la commission, on ne pourra que s’en réjouir.
Encore faudra-t-il que le législateur adopte la totalité des propositions de la Commission, qui constituent dans leur ensemble un corpus cohérent et a priori efficace.
N’en retenir que quelques unes renforcerait le manque actuel de cohérence dénoncé par le rapport et, plus gravement encore, s’inscrirait en complète contradiction avec l’objectif d’une politique de prévention des conflits d’intérêts, tel que le définit la Commission (p. 11 du rapport) :
« Il s’agit d’assurer la confiance mutuelle entre les citoyens et les agents qui incarnent l’autorité ou le service public, de sécuriser l’action publique et ceux qui y participent en protégeant ces derniers contre les risques de conflits ou de soupçon de conflits d’intérêts et, par suite, de préserver la réputation de la puissance publique, élément de confiance et de compétitivité sur la scène internationale. »
Enfin, une interrogation demeure sur l’application par le Juge de la nouvelle rédaction proposée de l’article 432-12.
C’est à lui, en effet, qu’il appartiendra de définir les contours d’un intérêt « de nature à compromettre l’impartialité, l’indépendance ou l’objectivité », qu’il devra caractériser pour constater la constitution du délit.
Or il n’est pas assuré que la définition qu’il en donnera se manifeste par une restriction significative des comportements qu’il sanctionne actuellement au titre d’un « intérêt quelconque ».
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