TA Versailles, Ord. n° 1603627 et 1603630 du 24 mai 2016
Le juge des référés libertés du Tribunal administratif de Versailles a été saisi d’un litige relatif aux effets d’une lettre de pré-démission de 2 conseillers municipaux remise au maire plusieurs années auparavant, déposée en mairie à leur insu, actée par ce maire immédiatement.
Ces élus, apprenant la prise d’acte de cette prétendue démission par le maire, ont demandé au juge des référés libertés de suspendre ses effets et d’enjoindre au maire de le convoquer au prochain conseil municipal. Le juge a fait droit à l’intégralité de leurs demandes.
Il est en effet ressorti des faits que les 2 conseillers municipaux, en rupture de ban avec le maire depuis quelques mois, lui avaient remis près de 15 années auparavant une lettre de démission en blanc, sans réaliser la portée de ce geste.
En mai 2016, alors que ces élus étaient entrés dans une phase d’opposition au maire, ils ont reçu une lettre du maire les informant qu’il prenait acte de leur démission reçue en mairie et les remplaçait au conseil municipal par les candidats de listes suivants, en application des dispositions de l’article L. 270 du Code électoral.
N’ayant à aucun moment adressé une telle lettre, et ne se souvenant avoir rédigé une telle lettre en 2002, ils ont immédiatement déposé plainte pour faux et usage de faux en écriture publique, contesté cette prétendue démission et, à quelques jours du conseil municipal convoqué par le maire pour installer leurs remplaçants, saisi le juge des référés libertés du Tribunal administratif de Versailles.
Ils contestaient tout d’abord le fait que la démission n’avait aucun caractère volontaire, puisqu’elle avait été émise et actée à leur émise, voire même en fraude de leurs droits.
Il résulte en effet des dispositions de l’article L. 2121-4 du CGCT que la démission de l’élu doit être volontaire, personnelle et individuelle. Il s’agit là d’exigences générales que l’on retrouve dans tous les domaines du droit, à savoir que la démission doit résulter de la volonté libre et éclairé e son auteur.
S’agissant d’un engagement personnel, le juge veille à l’intégrité du consentement de son auteur. C’est ainsi qu’il exige que la démission soit exprimée dans un document écrit, daté et signé par l’intéressé, rédigé en termes non équivoques et qu’elle ne soit pas livrée sous la contrainte (CE 16 janvier 1998, Ciré, req. n° 188892, publié au recueil).
Cette démission doit être claire et permettre d’authentifier non seulement l’auteur de la démission, mais sa volonté réelle, en pleine connaissance de cause, au moment même de la décision. A défaut, la décision serait émise ne violation du consentement libre et éclairé de la personne, l’élu en l’espèce, et serait dépourvue d’effets.
En d’autres termes, la lettre de démission doit exprimer de manière indiscutable la volonté de l’élu de démissionner (CAA Nancy 3 mars 2005, req. n° 03NC01111, Metz).
Tel n’est pas le cas a jugé le juge des référés libertés du tribunal administratif de Versailles, après un examen in concreto extrêmement fouillé des circonstances, l’absence de volonté de ces élus de démissionner, et surtout admis l’existence de cette lettre de pré démission émise 15 années auparavant et utilisée à leur insu.
Il en a déduit que la prétendue démission met fin au mandat des conseillers municipaux, les empêchant d’exercer leur fonctions électives. Il est donc porter atteinte à l’exercice d’un mandat électif.
Or, un tel mandat revêt, selon le Conseil d’état le caractère d’une liberté fondamentale (CE, 9 avril 2004, VAST ; CE 11 avril 2006, req. n° 292029, publiée au recueil) :
« Considérant que le libre exercice de leurs mandats par les élus locaux a le caractère d'une liberté fondamentale au sens des dispositions de l'article L. 521-2 du code précité ; que l'exercice de cette liberté ne peut être limité ou restreint que pour des motifs trouvant leur fondement dans des dispositions ou des principes généraux du droit destinés à assurer le bon fonctionnement des organes délibérants des collectivités territoriales de la République ou de leurs organes exécutifs ».
Le juge des référés du tribunal administratif de Versailles reprend ce principe, énoncé en ces termes :
« Considérant que le libre exercice de leurs mandats par les élus locaux a le caractère d’une liberté fondamentale au sens des dispositions de l’article L. 521-2 du code précité ; que l’exercice de cette liberté ne peut être limité ou restreint que pour des motifs trouvant leur fondement dans des dispositions ou des principes généraux du droit destinés à assurer le bon fonctionnement des organes délibérants des collectivités territoriales de la République ou de leurs organes exécutifs ».
Puis, constatant que « la prétendue démission de Mme Thierry porte une atteinte grave et manifestement illégale au libre exercice, par l’intéressée, de son mandat de conseillère municipale », il a suspendu les effets de ces prétendues démission et enjoint au maire de convoquer les conseillers municipaux au conseil municipal suivant, leur permettant ainsi de recouvre la plénitude de leurs attributions.
C’est, à notre connaissance, la première décision qui censure cette pratique des pré démissions, d'élus peu scrupuleux. Non que l’illégalité et la violation flagrante des attributions du mandat électif soient douteuses ou prêtent à sérieusement discussion, mais il est rare qu’un autre élu victime de cette pratique la conteste et parvienne à en rapporter la preuve.
Ces 2 ordonnances pourraient ouvrir désormais la voie à de plus nombreuses contestations, voire à mettre un terme à ces démissions en blanc, totalement irrespectueuses de la volonté et de l’intégrité des élus.
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